Les teneurs et les réviseurs
Une partie des cabinets d’expertise comptable dispose d’une forte segmentation entre les collaborateurs comptable : teneurs et réviseurs.
Les collaborateurs les plus « compétents », et surtout les mieux payés, ont ainsi en charge des dossiers de révisions, la tenue étant soit assuré par le client, soit par des collaborateurs à plus faible taux horaire. Cette logique, basée sur une considération financière, conduit malheureusement à plusieurs points négatifs pourtant bien connu du taylorisme :
Le travail à la chaîne, en réduisant les périmètres d’interventions de chacun, réduit également les capacités des collaborateurs à raisonner globalement (pourtant bien nécessaire pour développer le sacro-saint conseil). Cela conduit également à une forme d’individualisme : chacun ses activités, chacun sa charge et chacun ses responsabilités. Les œillères sont ainsi bien en place, et la finalité de la mission (c’est-à-dire le client) passe après les activités elles-mêmes.
Ainsi le collaborateur réviseur adopte une posture de « contrôleur des travaux finis » pour les dossiers tenus au cabinet. Il va corriger les erreurs de saisies, de la même manière que si c’était le client qui avait réalisé la tenue. Bien que caricatural, on visualise bien le non-sens de cette pratique. Dans l’industrie il est déjà bien acquis qu’il ne faut plus contrôler la qualité, mais la « faire », directement.
Un autre effet pervers de cette segmentation concerne paradoxalement la perte de productivité.
Les leviers de productivité ne se situent pas uniquement au niveau de la révision et de ses outils, l’enjeu (certes plus discret) se situe dès l’organisation et l’optimisation de la tenue comptable :
- Automatisation d’une partie des écritures (ETEBAC, OCR, webscrapping…)
- Co-construction de l’organisation de la mission avec le client et adaptation aux évolutions
- Définitions des règles et des seuils de significativité
Au-delà du temps à investir dans ces sujets, on mesure ici les compétences techniques et relationnelles nécessaires, sans parler des capacités humaines : écoute, curiosité, recul, persévérance, remise en cause.
Et ce serait également l’occasion de parler RGPD !
Enfin, sur un point plus psychologique, une telle déconsidération de la tenue comptable ne peut avoir d’effet bénéfique sur les fameux « teneurs de comptes ». Et ne parlons pas de l’effet dévastateurs des annonces « la tenue va disparaître »
La tenue va disparaître
Ne pas confondre automatisation et disparition. L’activité traditionnelle de saisie comptable est effectivement en train d’être bouleversée par les technologies, voire par la réglementation. Raison de plus pour s’y intéresser, pour anticiper les risques et opportunités de ces évolutions.
Pour les clients qui ont encore un contact mensuel lors de la remise des pièces, que va t il leur rester ? La traditionnelle et historique « tournée du laitier » avait bien d’autres vertus que la simple collecte des pièces comptables, c’était une opportunité considérable de suivre le client et son environnement.
On va ainsi finir de couper un des deniers liens, trop souvent négligé pour des raisons de coûts « théoriques ». Et c’est bien sur ce créneau que se sont positionnés d’autres acteurs du conseil en gestion tel que RIVALIS.
Alors des cabinets continuent à se « tayloriser » en nommant des spécialistes du « conseil » pour essayer de récupérer ce qu’ils ont perdus avec le désintérêt pour la tenue. C’est caricatural ! Mais la politique de l’offre est-elle suffisante pour faire décoller les missions de conseil ?
Et comme la tendance consiste à automatiser, épurer et uniformiser au maximum la tenue, on peut certes produire rapidement des tableaux de bord, mais quels tableaux de bords : « hors sol », industrialisés et stériles, avec une lecture uniquement comptable ?
Une des raisons du succès de ces organisations tayloristes réside dans le fait que tout le système de production est ainsi « visiblement » sous contrôle, et seul les postes à plus forte responsabilité disposent alors d’une vision globale et centrée sur le client, ce qui leur permet de rester les uniques acteurs des « sacro-saint » conseils.
Alors ne faudrait-il pas repenser le mode d’organisation « tenue-révision », centrée sur la production réglementaire, et reconsidérer la tenue comptable comme le cœur de la relation et du service client ?